Paraguay: "L'Evêque des pauvres" met fin à 60 ans de domination du Parti Colorado.
En élisant Fernando Lugo comme président, les Paraguayens font sauter le verrou de la vieille dictature de Stroessner. C'est une des têtes de la coordination de la théologie de la libération en Amérique Latine qui arrive au pouvoir, il est élu sur un programme de souveraineté énergétique et alimentaire essentielle dans un pays en lambeaux socialement, économiquement et politiquement. Pour mettre en œuvre son programme, il devra bâtir une alliance politique solide et mobilisatrice pour s'affronter, en plus de la domination étasunienne à la domination régionale des deux grands : le Brésil et l'Argentine.
Le coup d'état de 1989 qui renversa le dictateur Alfredo Stroessner n'a pas beaucoup changé le visage de la politique paraguayenne. Le dictateur, qui gouvernait le pays depuis 1954, s'est appuyé sur le même parti, le parti Colorado, pour gouverner le pays jusqu'à dimanche par des méthodes de clientélisme, de corruption et avec une forte répression. Seulement le 29 mars 2006, l'histoire de ce pays vacille : plus de 40 000 personnes descendent dans la rue de la capitale, Asunción, et créent le mouvement Resistencia Ciudadana pour éviter que le président Duarte Frutos puisse se représenter à un second mandat, interdit par la Constitution.
Un des porte-parole de ce mouvement est l'évêque de San Pedro, une zone très pauvre où les paysans luttent depuis longtemps contre les propriétaires terriens. Fernando Lugo apparaît comme le seul personnage public pouvant faire trembler le parti Colorado qui contrôle tous les ressorts du pouvoir : bureaucratie d'état, mafia, armée, et grand patronat. Le 17 décembre 2006, pendant une réunion du mouvement Tekojoja , on remet à Fernando Lugo 100.000 signatures de pétitions demandant à ce qu'il renonce à son ministère sacerdotal et puisse ainsi se présenter aux élections de 2008.
Le 22 décembre, il accepte ce "mandat populaire" et envoi sa démission au Vatican. Mais Benoît XVI se souvient avoir croisé le nom de Lugo dans sa chasse aux ecclésiastiques de la théologie de la Libération alors qu'il n'était encore que Ratzinger : il décide de le radier in divinis pensant que n'étant pas démissionnaire, le droit constitutionnel invaliderait sa candidature . Il n'en fût rien, l'article 42 de la constitution indique qu'un individu ayant la volonté de démissionner ne peut plus être considéré comme partie prenante de son groupe. Les voies constitutionnelles...
Un pays totalement délabré
Lugo arrive à la tête d'un pays dévasté. Sur 6 millions d'habitants, 63% sont pauvres. 4,5 millions (80%) n'ont pas accès aux soins de santé élémentaires. 600.000 paysans sans terre errent dans le pays. 100 000 Paraguayens émigrent de la campagne vers la ville chaque année ou quittent le pays pour l'Espagne ou l'Argentine : les envois de fonds des migrants représentent désormais la seconde rentrée financière du pays, dépassée seulement par les exportations de soja.
En 2006, les producteurs de soja ont exporté l'équivalent de 450 millions de dollars et les éleveurs quelques 430 millions. Ils paient des impôts misérables : 3% pour les éleveurs et 1,8% pour les producteurs de soja. Lugo propose un vaste programme de réforme agraire, et pour le mettre en oeuvre, il est entouré de cadres du Mouvement des Sans Terre brésilien. Ceci suffira-t-il pour permettre l'émergence au premier plan d'un fort mouvement paysan ? C'est un des enjeux de ce mandat.
Sur le plan énergétique, il existe un vieil accord entre le Paraguay et l'Argentine mais surtout, le Brésil possède Itaipu, un immense barrage hydroélectrique sur le fleuve Paranà. Cet accord ficelé par Stroessner n'a rapporté que 250 millions de dollars en 2006 et 307 millions en 2007, alors que le prix du marché donnerait une bouffée d'oxygène de 2 milliards de dollars dans les caisses de l'état, une "bénédiction" pour les projets du nouveau pouvoir.
Une alliance politique fragile mais mobilisée
Quand on l'interroge sur ses alliances en Amérique Latine, Lugo répond habilement qu'il admire tous les dirigeants de gauche latinos, mais que le Paraguay doit mettre en place son propre processus. L'alliance électorale mise en place est très large et demande à y voir de plus près.
Pour porter sa candidature, deux forces politiques se sont constituées. D'un côté le Bloque Social y Popular, composé des 5 centrales syndicales : un secteur du mouvement paysan, la démocratie chrétienne, le Parti révolutionnaire fébrériste et le Parti des travailleurs, et le mouvement Tekojoja. De l'autre, une concertation "pays possible" constituée d’ex du parti Colorado et d’élus qui a permis à Lugo d'obtenir des financements et des appuis parlementaires. Beaucoup de problèmes ont été réglés pendant la campagne même si subsistent des contradictions politiques, notamment sur les rythmes et les alliances internationales qui pourront handicaper un processus qui aura fort à faire contre un parti Colorado divisé, certes, mais tenant encore tout le champ administratif (200 000 fonctionnaires, dont 95% font partie du parti Colorado), économique et surtout mafieux.
Le souffle des mobilisations contre le parti Colorado et contre les privatisations en 2007 n'est pourtant pas tombé, ce qui donne une base combative au processus, qui sans nul doute est une excellente nouvelle pour les paraguayens et tous les peuples d'Amérique Latine.
Julien Terrié
En élisant Fernando Lugo comme président, les Paraguayens font sauter le verrou de la vieille dictature de Stroessner. C'est une des têtes de la coordination de la théologie de la libération en Amérique Latine qui arrive au pouvoir, il est élu sur un programme de souveraineté énergétique et alimentaire essentielle dans un pays en lambeaux socialement, économiquement et politiquement. Pour mettre en œuvre son programme, il devra bâtir une alliance politique solide et mobilisatrice pour s'affronter, en plus de la domination étasunienne à la domination régionale des deux grands : le Brésil et l'Argentine.
Le coup d'état de 1989 qui renversa le dictateur Alfredo Stroessner n'a pas beaucoup changé le visage de la politique paraguayenne. Le dictateur, qui gouvernait le pays depuis 1954, s'est appuyé sur le même parti, le parti Colorado, pour gouverner le pays jusqu'à dimanche par des méthodes de clientélisme, de corruption et avec une forte répression. Seulement le 29 mars 2006, l'histoire de ce pays vacille : plus de 40 000 personnes descendent dans la rue de la capitale, Asunción, et créent le mouvement Resistencia Ciudadana pour éviter que le président Duarte Frutos puisse se représenter à un second mandat, interdit par la Constitution.
Un des porte-parole de ce mouvement est l'évêque de San Pedro, une zone très pauvre où les paysans luttent depuis longtemps contre les propriétaires terriens. Fernando Lugo apparaît comme le seul personnage public pouvant faire trembler le parti Colorado qui contrôle tous les ressorts du pouvoir : bureaucratie d'état, mafia, armée, et grand patronat. Le 17 décembre 2006, pendant une réunion du mouvement Tekojoja , on remet à Fernando Lugo 100.000 signatures de pétitions demandant à ce qu'il renonce à son ministère sacerdotal et puisse ainsi se présenter aux élections de 2008.
Le 22 décembre, il accepte ce "mandat populaire" et envoi sa démission au Vatican. Mais Benoît XVI se souvient avoir croisé le nom de Lugo dans sa chasse aux ecclésiastiques de la théologie de la Libération alors qu'il n'était encore que Ratzinger : il décide de le radier in divinis pensant que n'étant pas démissionnaire, le droit constitutionnel invaliderait sa candidature . Il n'en fût rien, l'article 42 de la constitution indique qu'un individu ayant la volonté de démissionner ne peut plus être considéré comme partie prenante de son groupe. Les voies constitutionnelles...
Un pays totalement délabré
Lugo arrive à la tête d'un pays dévasté. Sur 6 millions d'habitants, 63% sont pauvres. 4,5 millions (80%) n'ont pas accès aux soins de santé élémentaires. 600.000 paysans sans terre errent dans le pays. 100 000 Paraguayens émigrent de la campagne vers la ville chaque année ou quittent le pays pour l'Espagne ou l'Argentine : les envois de fonds des migrants représentent désormais la seconde rentrée financière du pays, dépassée seulement par les exportations de soja.
En 2006, les producteurs de soja ont exporté l'équivalent de 450 millions de dollars et les éleveurs quelques 430 millions. Ils paient des impôts misérables : 3% pour les éleveurs et 1,8% pour les producteurs de soja. Lugo propose un vaste programme de réforme agraire, et pour le mettre en oeuvre, il est entouré de cadres du Mouvement des Sans Terre brésilien. Ceci suffira-t-il pour permettre l'émergence au premier plan d'un fort mouvement paysan ? C'est un des enjeux de ce mandat.
Sur le plan énergétique, il existe un vieil accord entre le Paraguay et l'Argentine mais surtout, le Brésil possède Itaipu, un immense barrage hydroélectrique sur le fleuve Paranà. Cet accord ficelé par Stroessner n'a rapporté que 250 millions de dollars en 2006 et 307 millions en 2007, alors que le prix du marché donnerait une bouffée d'oxygène de 2 milliards de dollars dans les caisses de l'état, une "bénédiction" pour les projets du nouveau pouvoir.
Une alliance politique fragile mais mobilisée
Quand on l'interroge sur ses alliances en Amérique Latine, Lugo répond habilement qu'il admire tous les dirigeants de gauche latinos, mais que le Paraguay doit mettre en place son propre processus. L'alliance électorale mise en place est très large et demande à y voir de plus près.
Pour porter sa candidature, deux forces politiques se sont constituées. D'un côté le Bloque Social y Popular, composé des 5 centrales syndicales : un secteur du mouvement paysan, la démocratie chrétienne, le Parti révolutionnaire fébrériste et le Parti des travailleurs, et le mouvement Tekojoja. De l'autre, une concertation "pays possible" constituée d’ex du parti Colorado et d’élus qui a permis à Lugo d'obtenir des financements et des appuis parlementaires. Beaucoup de problèmes ont été réglés pendant la campagne même si subsistent des contradictions politiques, notamment sur les rythmes et les alliances internationales qui pourront handicaper un processus qui aura fort à faire contre un parti Colorado divisé, certes, mais tenant encore tout le champ administratif (200 000 fonctionnaires, dont 95% font partie du parti Colorado), économique et surtout mafieux.
Le souffle des mobilisations contre le parti Colorado et contre les privatisations en 2007 n'est pourtant pas tombé, ce qui donne une base combative au processus, qui sans nul doute est une excellente nouvelle pour les paraguayens et tous les peuples d'Amérique Latine.
Julien Terrié
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